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Le blog d'un lecteur de philosophie

L'utopie libérale

15 Décembre 2012

Ecouté hier la conférence d'Onfray intitulée "L'utopie libérale". Onfray a fait là un beau travail qui met au jour les ressorts de la pensée libérale, laquelle n'a, comme on le verra, que très peu varié depuis Bentham. Il y a eu au XIXe siècle deux grandes idéologies, qui ont dominé la pensée politique, le libéralisme et le socialisme. Les libéraux soutiennent qu'ils sont efficaces, pragmatiques, connaissent bien les rouages de l'économie, contrairement aux socialistes, qui vivraient dans les rêves. Onfray montre que les libéraux sont tout aussi utopistes que l'étaient les Fourier et les Owen (expérience de New Lanark en Ecosse).

Le libéralisme est donc une "religion" au même titre que le socialisme. Bentham est un hédoniste qui veut le bonheur universel, lequel sera réalisé par l'économie libérale. Tout part du constat suivant : le capitalisme (qui selon Onfray date du néolithique, en tout cas pour moi de l'invention de la monnaie, cf. la création monétaire et la dette) produit des pauvres en grand nombre, de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux. Les socialistes et les libéraux veulent apporter tous deux des solutions. Que proposent les libéraux (Bentham, Smith, Ricardo) ? 

D'abord, la croyance au progrès, héritée de la pensée chrétienne, qui voit le temps comme une flèche, flèche que Bentham dirige vers le haut.  Le progrès, c'est-à-dire la préférence que les hommes auraient naturellement pour le bonheur, ne peut être réalisé que par une économie libérale. En quoi consiste cette économie ? On le sait à peu près tous : une dérégulation du marché, le "laissez-faire, laissez-passer", la fin des impôts, de l'Etat. Une "main invisible" nous guide (Onfray y voit un souvenir de la Théodicée de Leibniz), il est inutile de contrôler les intérêts de chacun, cette "main" s'en charge pour nous. Donc, croyance au progrès et à la "main invisible".

Dans le détail, voici ce que propose Bentham pour lutter contre la pauvreté : augmenter la production des richesses, donc faire l'éloge de la consommation, en particulier du luxe (on pense à Voltaire). Pour parvenir à cet objectif, il faut "travailler plus pour gagner plus", pas de salaire minimum, le salaire dépendra du mérite, c'est-à-dire de la production, donc moins de vacances, mettre tout le monde au travail, enfants, vieillards, handicapés, tout faire pour augmenter les profits : baisser les taxes, les taux d'intérêt, encourager la concurrence, tout cela est bien connu, c'est notre monde actuel. La mondialisation et le chômage ne sont pas le problème, ils sont la solution : ils nous obligent à plus d'adaptation, plus de flexibilité. Non, Bentham n'est pas un conseiller de la Commission européenne, c'était un philosophe né à la fin du XVIIIe siècle. 

Le corollaire de cette pensée économique est la lutte contre les droits, droit de l'homme, égalité, grève, insurrection, et tant qu'on y est, la liberté, tous ces droits entravent la marche de l'économie. Il faut aussi lutter contre ceux qui sont responsables de la pauvreté : les pauvres (restes de l'état de nature, depuis que la paresse est un péché, cf. Adam et Eve). Bentham recommande de les ficher, puis de les mettre au travail. Il faut conduire le mendiant au commissariat, ou le dénoncer avec une récompense à la clé pour le délateur, car la pauvreté engendre aussi le crime.

En plus de cette société de surveillance, Bentham veut une société qui enferme. C'est le fameux "panoptique", qui veut dire "tout voir". La prison idéale est circulaire, au milieu se dresse une tour d'où les surveillants peuvent tout voir sans être vus. Chacun se sait ainsi épié, les gardiens surveillent les détenus, les détenus se surveillent entre eux, et les surveillants doivent rendre compte au peuple. Dans ce système, chacun est à la fois maître et esclave, personne n'est libre. Le paradis libéral est donc une immense prison. Bentham voulait étendre son système aux hôpitaux, aux écoles, aux usines...

Onfray recommande en bibliographie la lecture de "Surveiller et punir" de Foucault, un livre admirable qui l'a réveillé dans sa jeunesse. 

Légendes photos : le panoptique et la révolution industrielle en Angleterre à l'époque de Bentham, photo d'une filature.

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J
Pourriez-vous développer sur l'état mental de l&quot;homme qui n'a plus ou pas la &quot;croyance au progrès&quot;?<br /> Vous m'avez incité à lire plus sur Bentham. Je renvoie au site: [url]http://www.centrebentham.fr/[/url]
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J
Je ne voyais pas que nous fussions tous des ascètes mais plutôt qu' hors les nihilistes nous visions le mieux plutôt que le pire. Mais le fond de ma question portait sur ce qu'il peut rester d' options qui ne soient pas peu ou prou progressistes. <br /> Quand je parle d' état mental, je pense au genre d espoir, pour lui pour la société, que peut entretenir l' homme qui ne croit pas au progrès. Comment motive -t -il son action?
P
&quot;Il me semble que dans tous les cas de figures philosophiques visent, sauf le nihilisme, à un certain progrès.&quot;<br /> <br /> En effet, tous ceux qui pratiquent une ascèse visent une vie meilleure, mais il s'agit là d'une affaire personnelle. Bentham pose en principe que nous visons tous au bonheur, or certaines personnes cherchent à se faire souffrir. Le nihilisme n'est pas nécessairement pessimiste, mais j'aurais à y revenir quand j'aborderais certaines autres conférences d'Onfray.
J
J' entendais une compréhension humble du mot &quot;progrès&quot;. Il s'agirait plutôt de savoir croire ou non à une amélioration possible. Avoir une intention générale de notre existence, une intention visant sinon la perfection du moins un perfectionnement possible.<br /> A minima conserver l 'état des choses s' il semble assez convenable ou même en revenir à un état des choses antérieur qui semblerait meilleur que l'état présent ou le futur escompté. Espoir d'un ordre juste ou bon ou adéquat, tout simplement meilleur, plutôt que le délitement des choses.<br /> Il me semble que dans tous les cas de figures philosophiques visent, sauf le nihilisme, à un certain progrès.<br /> Mais sur la version anoblie du mot &quot;progrès&quot;, hors les progressistes, que vous semble proposer si ce n'est plus l 'espoir, alors comme désespoir, ceux qui ne croient pas au progrès? Ou bien quel espoir que nous ne devrions pas néanmoins appeler un espoir de progrès ?
P
Pour le moment, je me consacre aux conférences d'Onfray sur les libéraux et les socialistes, qui croient tous deux au progrès. Pour répondre à votre question, il faudrait plutôt se tourner vers Nietzsche, Schopenhauer, tout le pan des pessimistes du XIXe qui ne croient pas au progrès.